ENTRÉE EN MATIÈRES
« La haute couture, c’est la matière […]. » YSL – Le Monde, 1983
Yves SAINT LAURENT, qui n’hésita pas à se dévêtir lui-même pour une campagne publicitaire dans les années 1970, travaille au plus près du corps des femmes qu’il révèle dans des jeux de transparence audacieux, mais respectueux. Cette entrée en matière de l’exposition décline plusieurs tissus de prédilection du couturier, comme autant d’instruments du dévoilement de la puissance et de la beauté des femmes.
L’organza est caractérisé par sa texture fine et son aspect rigidifié légèrement brillant. Ce voile de soie est notamment employé comme support des créations brodées à l’image de la robe de la collection printemps-été 1966. La Cigaline® est une étoffe très fine, à l’aspect crêpé assez raide, voire crissant, en référence aux ailes de cigale, adoptée par Yves SAINT LAURENT depuis 1968 pour le smoking-bermuda. La dentelle, appréciée pour ses effets ajourés et la délicatesse de ses dessins, mêle érotisme et élégance dans la collection automne-hiver 1970. Le tulle est un tissu plus ou moins souple, à la maille apparente qui peut former de véritables volumes lorsqu’il est utilisé en épaisseurs cumulées. La mousseline, enfin, fascine Yves SAINT LAURENT pour sa finesse et son tombé vaporeux. Déjà essentielle dans la robe ceinturée de plumes de 1968, il s’en sert aussi en 2002 pour sa dernière collection, de même que dans ses collections prêt-à-porter, à l’instar du modèle
« Je suis Belle » de la collection automne-hiver 1988. Ainsi, ces étoffes créent chacune des effets de transparence spécifiques et participent de l’expression du génie créatif d’Yves SAINT LAURENT.
Les dessins hypnotiques et rythmés d’Anne Bourse (née en 1982) font écho aux compositions et aux superpositions de matières et de couleurs du couturier. L’artiste a souvent témoigné de son intérêt pour la mode et le textile, et de son admiration pour SAINT LAURENT.
MANTEAU DU SOIR
Collection haute couture automne-hiver 1964
Modèle cliente – Atelier Blanche
Dentelle (maison Brivet)
Musée Yves Saint Laurent Paris
Ce manteau du soir d’une grande finesse et légèreté est composé d’une dentelle de Chantilly de la maison Brivet, caractérisée par des motifs floraux sans effet de relief et par l’importance du fond. Il est étonnant – à la différence de nombre de tenues en dentelle qui ont été doublées d’un tissu uni, type tulle, mousseline ou organza – que le choix se soit porté ici sur une double épaisseur de la même dentelle. La volonté de dédoubler la dentelle suggère le désir d’obtenir un effet particulier de sfumato, rendant la pièce encore plus évanescente.
Lors du défilé, le manteau est porté sur une robe du soir d’un bleu froid.
ROBE DU SOIR
Collection haute couture printemps-été 1966
Modèle cliente – réédition de 2002
Organza de soie (maison Bianchini)
Broderie (maison Lanel)
Palais Galliera, Musée de la Mode de la Ville de Paris
Don de Madame Jacqueline de Ribes
La collection haute couture printemps-été 1966 se veut surprenante par sa modernité et son audace. « Parce qu’il est jeune, Yves SAINT LAURENT présente la collection la plus jeune de Paris », titre le magazine Marie Claire. Le couturier décrit d’ailleurs lui-même sa collection comme étant « jeune, moderne et provocante ». En effet, trois robes courtes en organza de soie transparent, brodé de paillettes en lignes géométriques, font sensation auprès du public. Si la poitrine et les hanches sont masquées, en revanche le nombril et la taille sont laissés volontairement apparents. Ce modèle, prêté par le Musée de la Mode de la Ville de Paris, Palais Galliera, fut commandé par la vicomtesse Jacqueline de Ribes en 2002. Nombreuses ont été les clientes à commander des modèles phares d’anciennes collections lors de la fermeture de la maison de couture.
ROBE DU SOIR
Collection haute couture automne-hiver 1970
Prototype – Atelier Elsa
Robe de crêpe de laine (maison Gandini)
Dos de dentelle (maison Brivet)
Boutons (maison Hamon)
Cette robe du soir apparaît au premier abord très austère par son noir profond, ses manches longues et fluides, sa rangée de boutons noirs fermant son col très haut. Elle révèle pourtant toute sa sensualité dans le dos. Parée de dentelle, la femme qui la porte offre au regard sa peau, dans un jeu subtil et séduisant de caché-montré. Cette robe courte a été immortalisée par la photographie de Jeanloup Sieff (1933-2000), parue dans le numéro de Vogue (Paris) de septembre 1970 (présenté dans le grand salon). Dans un halo de lumière, Marina Schiano (1941-2019) dévoile, des épaules au bas des reins, son corps nu sous la dentelle de Chantilly de la maison Brivet. La pose du mannequin, la présence du turban, le dévoilement du corps féminin rappellent la célèbre photographie de Man Ray (1890-1976) Le Violon d’Ingres (1924), figurant Kiki de Montparnasse (1901-1953) nue.
SMOKING
Collection haute couture printemps-été 1968
Prototype – Ateliers Lefort et Renée
Bermuda et veste de grain de poudre de laine et satin de soie (maison Dormeuil)
Blouse de Cigaline® (maison Bucol) satin de soie (maison Dormeuil)
Un vent de jeunesse et de fantaisie souffle sur les créations de la collection haute couture printemps-été 1968, où le vestiaire féminin se rapproche aisément de celui des hommes. La tendance : des pantalons, des jumpsuits et des bermudas. Dans cet état d’esprit, Yves SAINT LAURENT réinvente les classiques, notamment pour le soir, dont l’exemple le plus probant est le smoking. Il en offre une toute nouvelle version, courte et plus osée, constituée d’une veste longue et d’un bermuda d’alpaga, accompagnée d’une blouse transparente très fine de Cigaline® nouée au cou par un ruban de satin de soie. C’est avec audace qu’Yves SAINT LAURENT libère les charmes féminins dans cet ensemble du soir. La Cigaline® devient l’écrin de l’ultra féminité en dévoilant la poitrine. Le bermuda dénude également les jambes. Les réactions sont vives et nombreuses dans le monde de la presse et de la haute couture : cette tenue, bien que « charmante », pouvait-elle être véritablement portée dans le quotidien ou relevait-elle de la provocation ?
ENSEMBLE DU SOIR « JE SUIS BELLE »
Collection SAINT LAURENT rive gauche automne-hiver 1988
Modèle cliente – Atelier Renée
Blouse de mousseline de soie (maison Saris) brodée
Jupe de crêpe de laine (maison Besson) brodée
Yves SAINT LAURENT joue de l’esprit dessous-dessus avec cet ensemble du soir dont la blouse en mousseline de soie est ornée d’une broderie de sequins, perles tubulaires et paillettes représentant une poitrine.
Nombreux sont les croquis préparatoires qui accompagnent la réflexion d’Yves SAINT LAURENT autour de la création du modèle « Je suis Belle » issu de la collection SAINT LAURENT rive gauche automne-hiver 1988. La phrase aux lettres brodées « Je suis Belle » apparaît comme une incantation conférant charme et force à la femme qui la porte. L’utilisation de l’écrit est rare chez Yves SAINT LAURENT, tout comme dans le monde de la mode, en cette fin des années 1980. Cet ensemble fut porté par Naomi Campbell (née en 1970) qui démarrait alors sa carrière de mannequin.
Anne Bourse (née en 1982)
Stuck on Earth (4), 2022
Stylo-bille sur papier couché
Courtesy de l’artiste et galerie Crèvecœur, Paris
Diplômée de l’École nationale des beaux-arts de Lyon, Anne Bourse (née en 1982) est une artiste aux multiples facettes. Elle crée des installations immersives en recourant souvent à des textiles aux tonalités douces, rose, bleu ou vert pâles. Elle pratique également la photographie, ainsi que le dessin, où les superpositions de couleurs et les suggestions de matières sont aussi essentielles. Les formes finement coloriées au crayon, à la peinture et au stylo-bille créent des compositions singulières et des jeux de transparence à la beauté obsédante.
À l’instar des vêtements d’Yves SAINT LAURENT, que l’artiste admire tant, le mouvement, la fluidité et la fantaisie se retrouvent dans les œuvres protéiformes d’Anne Bourse.