LA MARIÉE NE SERA PAS TRANSPARENTE

Yves SAINT LAURENT a su accompagner l’émancipation des femmes depuis les années 1960. Il contribue à créer, au fil de ses collections, l’image de femmes qui s’assument et s’imposent. Les femmes habillées en Yves SAINT LAURENT ne passent jamais inaperçues, devenant même antonymes de ce qui serait transparent.

A fortiori, la figure de la mariée qui vient clôturer cette exposition, comme elle le fait dans tout défilé, s’impose magistralement, sous son voile de tulle ou de dentelle, constamment réinventé par Yves SAINT LAURENT. Le couturier aime en effet donner une touche finale souvent anticonformiste. En 1981, il explique  ainsi dans une note manuscrite, qu’après avoir été présentée, une robe revenait sur le podium « voilée de tulle noir et un bouquet de roses sombres, suivie de deux enfants inspirés par Goya ». Cette utilisation du voile revêt pour lui une part de mystère, suggérant une présence autant qu’une absence, permettant aux femmes d’affirmer leur liberté insondable. La superposition de tulle sur les robes de mariée, qui peuvent être blanches mais aussi violettes ou rouges, et le port de bijoux — comme l’iconique pendentif cœur — complexifient la transparence, rendue dès lors plus ambiguë, moins directe.

Une peinture de la fameuse série des Transparences de Francis Picabia (1879–1953) dévoile également la multiplicité des personae du modèle portraituré. À l’instar de tous les artistes regroupés dans cette exposition, les jeux de SAINT LAURENT avec la transparence font de l’insaisissable un véritable manifeste plus que jamais inspirant et actuel aujourd’hui.

© Yves SAINT LAURENT © Droits réservés

Robe de mariée portée par Mounia Orosemane, accompagnée d’enfants d’honneur, collection haute couture automne-hiver 1981.

Cette robe en faille de soie de couleur sombre, pensée pour le soir, défile une première fois devant le public, sans artifices. En clôture de défilé, elle effectue un second passage, comme étonnante robe de mariée. Accessoirisée d’un voile de tulle noir, surmonté d’une couronne de tulle brodé, et du collier-cœur, le modèle porté par Mounia Orosemane est transformé avec apparat. 

La mariée est également accompagnée de deux enfants d’honneur dont les costumes sont inspirés des peintures de Goya. L’ensemble du petit garçon a notamment des similitudes avec L’Enfant bleu (1791, Paris, Musée du Louvre) que le couple Bergé – Saint Laurent acquiert à la même période.

© Yves SAINT LAURENT © Sophie Carre

COLLIER « CŒUR »
1979
Strass, cabochons de cristal, perles, pâte de verre (maison Scemama)

Yves SAINT LAURENT dessine ce pendentif « Cœur » pour sa première collection au printemps-été 1962. Sa confection est confiée à la maison Scemama qui interprète le dessin du couturier grâce à l’imbrication de perles, strass et cabochons se terminant par une goutte de pâte de verre rouge. Une nouvelle version est réalisée en 1979.

Tel un talisman précieusement gardé par Yves SAINT LAURENT, le « Cœur » est porté par le mannequin ou le modèle choisis par ce dernier lors des défilés haute couture comme prêt-à-porter. Il peut se présenter de différentes façons : en broche ou en pendentif avec une chaîne de strass translucides ou rouges et ornant alors un décolleté devant ou dans le dos. Il pare les trois robes de mariée présentées dans la vitrine adjacente.

© Adagp, Paris, 2023

Francis Picabia (1879-1953)
Composition (Transparence aux cinq personnages)
Vers 1926 – 1929
Aquarelle sur papier
Collection particulière

Francis-Marie Martinez de Picabia est un artiste peintre, dont la production éclectique et foisonnante est aujourd’hui retenue pour sa proximité avec les mouvements Dada et surréaliste. Au cours de sa carrière, Francis Picabia n’a de cesse d’ex­périmenter de manière non conformiste les avant-gardes du xxe siècle.

Les croquis et les peintures de Francis Picabia issus de sa série intitulée Transparences de la fin des années 1920 empruntent des motifs de l’histoire de l’art, les superposant et offrant plusieurs niveaux de lecture, parfois difficiles à déchiffrer. Tels des fragments transparents, les têtes et les membres féminins s’entremêlent avec des motifs graphiques élaborés. Ces compositions mystérieuses et délicates présentent des analogies avec la transparence vestimentaire mise en place par Yves SAINT LAURENT, révélant aussi plusieurs degrés de masquage et de dévoilement.