TRANSPARENCES AJOURÉES
La dentelle et le tulle sont des matières ajourées, l’une dessinant des motifs fleuris ou stylisés en contact étroit avec le corps, alors que l’autre est uni et vaporeux. La dentelle permet à Yves SAINT LAURENT de dévoiler, avec subtilité, le corps de la femme et, parfois, de diriger comme des découpes de projecteurs sur des détails corporels, rendues quasiment abstraites. Une poitrine, une hanche, le haut ou le bas du dos sont tour à tour découverts donnant à la femme assurance et force, non sans une certaine provocation. Souvent noires, les dentelles peuvent être rehaussées par des fils de Lurex® ou des broderies de sequins leur apportant une brillance et sublimant leurs motifs. Elles sont souvent associées à d’autres textiles : contrastant avec un crêpe fluide, un velours profond, un tulle coloré ou une mousseline imprimée.
Les dentelles visibles sur les tableaux de Francisco de Goya (1746–1828) ont directement inspiré Yves SAINT LAURENT qui les reprend dans ses carnets à dessins dans les années 1960 pour des projets de spectacle, puis dans ses collections au début des années 1970 ou encore en 1981.
Fasciné lui aussi par toutes les matières, y compris la dentelle, Man Ray (1890–1976) a réalisé des séries de mode dans les années 1930, réussissant à fractionner le mouvement par une méthode de surimpression ; comme radiographiée, une jupe en dentelle laisse ainsi apparaître le corps du mannequin. Sur l’un de ses célèbres « rayogrammes », il crée une nature morte surréalisante, combinant une main en bois sur une étoffe, un geste qui n’est pas sans évoquer la touche experte d’un couturier.
Man Ray (1890-1976)
Sans titre, 1927
Épreuve aux sels d’argent, rayogramme, tirage postérieur
Collection Marion Meyer, Courtesy Association Internationale Man Ray, Paris
© Man Ray 2015 Trust / ADAGP, Paris 2023
Emmanuel Radnitsky, dit Man Ray, est un acteur du dadaïsme à New York, proche de Marcel Duchamp, avant de devenir à partir des années 1920 une figure marquante du surréalisme. Auteur de peintures, dessins, sculptures, ready-made et vidéos, il révolutionne l’art photographique par le biais de procédés (comme la solarisation, les collages ou la double exposition) lui permettant de créer des images poétiques. Dans ses rayogrammes, ainsi que dans les clichés qu’il réalise pour des magazines de mode, Man Ray expérimente les effets d’une source lumineuse sur des objets textiles, mettant parfois en évidence la transparence de certaines matières. Les jeux de surimpression qui y apparaissent présentent des affinités avec l’œuvre d’Yves SAINT LAURENT.
ROBE DU SOIR
Collection haute couture printemps-été 1996
Prototype – Atelier Renée
Robe de crêpe de laine (maison Garigue)
Dentelle brodée (maison Marescot)
Nœud de satin de soie (maison Buche)
Le défilé haute couture printemps-été 1996, dont est issue cette robe du soir, rappelle la collection printemps-été 1971 « Libération », qui marqua l’histoire de la mode par l’aura du scandale qu’elle a suscité. En effet, inspirée de la mode en France sous l’Occupation, elle a été décriée et qualifiée de vulgaire et provocante.
En 1996, le mannequin Karen Mulder (née en 1970) incarne de nouveau cette esthétique des années 1940 par sa coiffure travaillée en coques et par son maquillage aux lèvres rouges bien définies. La robe, très sobre de face, présente une tout autre vision, intrépide et insolente dans le dos. Yves SAINT LAURENT réitère ici le traitement audacieux de la robe dos nu de l’automne-hiver 1970, immortalisée sous l’objectif de Jeanloup Sieff, en la rendant encore plus sensuelle par sa découpe et par la dentelle utilisée qui laisse davantage apercevoir le corps du modèle.
ENSEMBLE DU SOIR
Collection haute couture printemps-été 1978
Prototype – Ateliers Jean-Pierre et Felisa
Spencer et pantalon de grain de poudre (maison Dormeuil) et rubans de satin de soie (maison Rodolphe Simon)
Soutien-gorge de dentelle (maison Hurel), mousseline de soie (maison Bianchini) et rubans de satin de soie (maison Rodolphe Simon)
Vêtement iconique du vestiaire créé par Yves SAINT LAURENT, le smoking trouve une nouvelle jeunesse dans le défilé du printemps-été 1978. Il est présenté pour la première fois en 1966, de manière classique et féminisée, sur une chemise à jabot en batiste de coton blanc, puis en version bermuda sur une blouse de Cigaline® entièrement transparente ; il est ici associé à un simple soutien-gorge de dentelle de Chantilly laissant la peau du mannequin apparente. Comme en témoignent les applaudissements retentissants dans la salle lors du passage du modèle sur le podium, ce dernier marque les esprits. Le dessous, devenu dessus, est le manifeste d’une sensualité exacerbée de la femme qui le revêt tout en arborant le pouvoir conféré par un tel ensemble. Les rubans qui l’ornent et volent au vent au fil des déambulations y ajoutent une touche de sensualité hypnotisant l’auditoire.
ROBE-GITANE
Collection haute couture printemps-été 2000
Prototype – Atelier Colette
Robe de mousseline de soie (maison Abraham)
Dentelles (maisons Sophie Halette et Marescot)
Broderie (maison Lesage)
Les modèles du soir du défilé haute couture printemps-été 2000 sont inspirés des « robes-gitanes ». Les mannequins apparaissent parés de fleurs dans les cheveux et tenant un porte-cigarettes à la main. Cette robe est composée d’une jupe à volants, très ample, en mousseline de soie imprimée de roses multicolores. Le volant est constitué d’une dizaine de mètres de dentelle noir irisé de la maison Marescot, donnant du volume et de la tenue comme sur les jupes des danseuses de flamenco.
Sur le haut du corps, la dentelle dévoile sans entièrement dénuder. Sa transparence est en partie rompue par son ennoblissement. Sur un fond noir irisé au motif floral de la maison Sophie Hallette, des roses sont brodées en sequins par la maison Lesage. Néanmoins, elles laissent transparaître les seins du mannequin.
CROQUIS INSPIRÉS DES ŒUVRES DE FRANCISCO DE GOYA (1746-1828)
Début des années 1960
Crayon graphite et pastel sur papier
Ces carnets de croquis, ainsi que les feuilles qui en sont issues, témoignent des études du couturier pour des projets annexes à ses collections de mode. Ceux-ci ont été réalisés dans le cadre des recherches autour de la pièce de théâtre Le Mariage de Figaro, mise en scène par Jean-Louis Barrault à l’Odéon théâtre de l’Europe en 1964 ou encore pour le ballet Le Diable amoureux, projet resté inachevé. Comme l’attestent les annotations sur les couvertures des carnets, « Le Mariage de Figaro Goya » sur l’un et « Goya Espagne XVIIIème » sur l’autre, ces dessins sont inspirés du peintre espagnol qu’Yves Saint Laurent admire et dont il acquiert, avec Pierre Bergé, un tableau, Portrait de Luis María de Cistué y Martínez (1791), au début des années 1980.