TRANSPARENCES FLOUES
La fluidité, celle entre les matières et entre les genres, qualifie parfaitement le style de SAINT LAURENT. Parce qu’il sut affirmer la puissance rebelle d’une féminité en pantalon, autant qu’il a, mieux que tout autre, traduit l’aisance du mouvement à l’aide d’étoffes souples et vaporeuses.
Le flou a chez SAINT LAURENT une tonalité toujours positive. Loin d’être vague, ou hésitant, son art est évocateur et poétique. Dans les ateliers de couture dits « flous », en opposition à ceux dits des « tailleurs », les matières de la transparence, telles que la mousseline ou le tulle, donnent toute liberté au corps, lui permettant de se mouvoir et de s’exprimer sans contrainte. Savamment coupées, ses créations animent le corps des femmes, le couvrent et le découvrent, l’accompagnant comme un double, une brume atmosphérique et onirique.
Ici, toutes les robes, issues des collections couture ou du prêt-à-porter SAINT LAURENT rive gauche, tantôt monochromes, tantôt à motifs, courtes ou longues, sobres ou excentriques, sont suspendues dans l’espace créant un bal métaphorique, où le corps, bien qu’absent, est suggéré dans une poésie infinie.
La fluidité de la mousseline et son mouvement sinueux trouvent un écho dans la danse serpentine inventée par Loïe Fuller et captée par les frères Lumière : un film iconique à l’origine même du cinéma, si souvent cité comme une référence par de nombreux artistes.
ROBE D’UN ENSEMBLE DU SOIR
Collection haute couture printemps-été 1980
Prototype – Atelier Esther
Mousseline de soie (maisons Abraham et Bianchini)
Plusieurs ensembles du soir composés de caraco de couleur unie et de robe à fines bretelles aux motifs répétés et colorés rythment le défilé de la collection haute couture printemps-été 1980. Cette robe de mousseline imprimée de motifs de fleurs en fait partie. Sur le podium, les mannequins présentent ces modèles à l’aide d’amples mouvements : reines d’élégance, elles font virevolter leurs robes de mousseline, telles des danseuses. La légèreté et la fluidité du tissu sont l’occasion d’éblouir, presque d’ensorceler le public qui assiste au défilé.
ENSEMBLE DU SOIR
Collection SAINT LAURENT rive gauche
Printemps-été 1981
Modèle cliente – Atelier Felisa
Mousseline de soie lamée (maison Abraham)
« À bas le Ritz, […] vive la rue. »
Au cours des années 1960, nombreuses sont les clientes qui se détournent de la haute couture, préférant acheter des vêtements prêt-à-porter. En parfaite adéquation avec son temps, Yves SAINT LAURENT se lance : le 26 septembre 1966, il ouvre sa première boutique de prêt-à-porter SAINT LAURENT rive gauche, 21 rue de Tournon, à Paris. Le couturier y consacre autant de créativité, de soin et d’attention qu’à la haute couture. En revanche, s’il réalise les prototypes dans la maison de couture, ceux-ci sont confiés à un industriel, Mendès, pour une fabrication des collections en usine. Le succès est immédiat et SAINT LAURENT rive gauche devient en 1970 le premier exportateur de prêt-à-porter féminin de luxe.
ROBE DU SOIR
Collection haute couture automne-hiver 1968
Modèle cliente – Atelier Esther
Mousseline de soie (maison Bianchini)
Plumes d’autruche (maison Judith Barbier)
En 1968, le choix du nude look peut sembler surprenant pour une collection hivernale ; pourtant certains modèles sont devenus des références du style Yves SAINT LAURENT. Parmi eux, « une robe du soir long de mousseline » de soie noire, entièrement transparente, agrémentée au bas des reins de plumes d’autruche qui ceinturent les hanches. En apparence simple, cette création est d’un point de vue technique très audacieuse : la ceinture de plumes, loin d’endommager la mousseline, sert au contraire d’élément structurant, donnant de la tenue à l’ensemble.
Au-delà d’un simple manifeste de la transparence, cette robe se fait l’écho de la révolution sexuelle amorcée dans les années 1960. Yves SAINT LAURENT est sensible aux enjeux de cette actualité : la séduction et l’affranchissement des codes deviennent deux leitmotive de son travail créatif.
ROBE DU SOIR
Collection haute couture printemps-été 1980
Prototype – Atelier Gaby
Tulle de soie (maison Hurel)
Organza de soie (maison Bianchini)
Broderie (maison Lisbeth)
Lors du défilé de la collection haute couture printemps-été 1980, c’est le mannequin Iman qui porte ce modèle. Cette robe bustier à traîne de tulle noir, brodée de cœurs, est complétée par un imposant diadème à cinq branches, proche de celui de la Statue de la Liberté de New York. Le mannequin déambule sur le podium, en jouant avec un porte-cigarettes. Cet accessoire accentue l’idée de liberté et de légèreté, émanant de cette tenue de soirée. Ce sont de chaleureux applaudissements du public qui accueillent cette robe : elle célèbre avec majesté la femme et rejoint parfaitement l’univers d’Yves SAINT LAURENT par la présence du motif de cœurs.
Film Lumière no 765,1
Danse serpentine, II, d’après les chorégraphies de Loïe Fuller, opérateur inconnu, Italie, (1897-1899) © Institut Lumière
Loïe Fuller, nom de scène de Mary Louise Fuller (Hinsdale, 1862 – Paris, 1928), est une danseuse et chorégraphe autodidacte et avant-gardiste pour son époque. En 1892, elle connaît le succès à New York avec sa danse serpentine dans laquelle elle fait tournoyer des voiles autour d’elle. Loïe Fuller rejoint ensuite Les Folies Bergère, à Paris, où elle continue sa carrière de danseuse et de chorégraphe.
Loïe Fuller prend en compte les éléments scéniques – lumières et tissus – pour créer ses chorégraphies. Elle utilise ces éléments pour décupler le mouvement du corps, de façon captivante et hypnotique. De nombreuses danseuses vont rapidement l’imiter ; les frères Lumière immortalisent alors les chorégraphies de ces dernières dans des films aujourd’hui canoniques et célébrés pour leur contemporanéité. Le rapport exacerbé au corps, au mouvement et au vêtement évoque l’art fluide de SAINT LAURENT.